De qui ou quoi s’agit-il ?
De l’intelligence bien sûr.
Qu’est-ce qui a fait, qu’un jour, du bourbier organique primordial a surgit cette improbable espèce que l’on dit douée de raison qui, par la suite, s’est lancée à la conquête de la terre et bientôt, peut-être ( ?), d’autres mondes.
Je parle, vous l’avez compris de l’Homme.
Dans les cercles informés et bien pensants, on cherche désespéramment la réponse. On s’affronte, on s’étripe, on s’allie.
« C’est Dieu ! », nous a-t-on dit pendant très longtemps. Il semble d’ailleurs que cette explication, tombée pendant un temps en désuétude, regagne du terrain.
C’est l’évolution, a-t-on affirmé en d’autres temps, de manière plus scientifique.
Cependant, un autre participant s’avance et il semble avoir son mot à dire. Ecoutons donc ce que propose la Science-fiction.
« Tu es Pierre, et sur cette pierre je bâtirai mon Eglise, et la puissance de la Mort n’aura pas de force contre elle. »
Beaucoup d’encre et de sang ont coulé sur l’interprétation de cette citation comme sur de nombreuses autres. Les exégètes se sont crêpés la tonsure, les schismes et hérésies se sont accumulés. Vérité cachée, encodée, cryptée, il semble qu’une réponse définitive (?) soit indiquée dans un rouleau apocryphe égaré dans les Monts Tian shan vers 628 par des religieux nestoriens en fuite. Lutte pour le pouvoir plutôt que lutte pour la vérité, c’est moins la véracité du texte « sacré » que le pouvoir que l’on cherche à pérenniser pour l’éternité qui compte en la matière. L’ultime question qui se pose demeure : à qui profite la disparition et quelle vérité inavouable est couchée sur le papyrus ?
Cependant, ce n’est pas sur le terrain de l’histoire secrète de la foi où du thriller haletant voire éreintant (Dan Brown, couche toi) que nous mène Jean-Michel
Truong
, mais bien sur celui de la science-fiction à haute valeur spéculative et visionnaire, soyons fou dans nos adjectifs mille diables !En effet, passés les premiers chapitres, de nature plus historique, qui amorcent la piste de ce qui ressemble fortement à une enquête ; retrouver la trace de cette Bulle de Pierre, ce texte apocryphe cataclysmique pour l’Eglise et peut-être pour l’espèce humaine ; nous franchissons allégrement les siècles et nous retrouvons en 2032. A cette époque, le monde vit à l’âge du grand Renfermement qui nous est rapidement présenté. Mise sous cocon, si nécessaire de manière forcée, l’immense majorité de la population est soumise à la doctrine « 0 contact », méthode idéale trouvée par les dirigeants pour mettre un terme à l’épidémie de Peste et aux autres soucis relationnels générateurs de troubles bien malvenus pour l’économie.
Vision prospective inquiétante en perspective. Rassurons-nous, les cocons rassemblés dans des ensembles pyramidaux vertigineux, offrent tout le confort et le bien être d’une société moderne. Tout le monde communique et échange des services via le Web, la reproduction s’effectue in vitro, l’éducation est confiée à des programmes informatiques et comme il convient pour des questions d’équilibre psychologique d’entretenir un minimum de sociabilité, les « larves », comprendre les humains encapsulés, peuvent trouver du réconfort charnel par le biais de « pelochons », comprendre des interfaces tactiles ressemblant à des poupées gonflables améliorées. Le meilleur des mondes en quelque sorte.
Seules exceptions à cette règle du « 0 contact », les « Imbus », dirigeants politiques, décideurs économiques du Pacte de Davos et leurs chiens de garde institutionnels vivant dans des cités sous globe et le Vatican pour d’obscures raisons qui nous sont explicitées par la suite.
Le propos semble donc nettement politique. Cependant, l’auteur met en scène cette logique ultralibérale, nouvelle dictature douce, en évitant d’adopter un discours militant caricatural. Rien de nouveau mais avec un grand plus tout de même pas rapport à d’autres romans d’anticipation français (là, je pense notamment à François Muratet qui me paraît bien faible sur le même sujet).
Néanmoins, le propos de Jean-Michel
Truong
est bien plus ambitieux que la simple anticipation et le champ abordé beaucoup plus vaste que la dystopie. Sous un angle philosophique et scientifique,Truong
traite intelligemment et avec pertinence des sujets aussi variés que l’intelligence, la conscience, les relations humaines via le Web, le devenir de l’Homme, le rapport Homme/Machine et j’en passe… En fait, ce roman est tellement riche de pistes, dense d’idées que forcément cette fiche est réductrice. De plus, il faut laisser le plaisir de la découverte. Titiller sans déflorer.Bien sûr, les réflexions auxquelles il aboutit n’engage que l’auteur et il se trouvera sans doute des spécialistes pour en discuter. Il n’en demeure pas moins que ce foisonnement des thèmes n’est pas superficiel, ni tape à l’œil, ni ennuyeux et qu’il ne s’impose pas au détriment du récit qui reste passionnant de bout en bout. Celui-ci, puisqu’il faut bien en dire un mot, se concentre essentiellement sur le personnage de Calvin qui constitue le véritable moteur de l’histoire. Né en cocon, le jeune homme appartient à une communauté virtuelle de six autres personnes jusqu’au jour où l’une d’entre elle se suicide. L’événement, bien évidemment, va bouleverser sa vie bien rangée. Comme il se trouve qu’il n’est pas dépourvu de certains talents en matière de piratage informatique et que la disparition sans avertissement d’un membre de sa communauté le chagrine quelque peu, il va effectuer quelques recherches. De fil en aiguille, son enquête va faire éclater son cocon de tranquillité et lui révéler que le Web disloque plus qu’il ne lie.
En guise de conclusion :
Laissez tomber vos Ruffin, et pourquoi pas aussi Dantec, Panchard (je n’ai pas dit Werber) etc. Si vous désirez lire un roman de SF intelligent qui se dévore d’une traite, c’est
Truong
qu’il vous faut.Cette fiche est dédicacée à zomver, bien entendu.